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Petit rappel sur le marxisme

Quentin Monnerat
La Nation n° 2287 5 septembre 2025

Le marxisme a la triste caractéristique d’être mal connu tant par ses détracteurs que par ses adhérents. A droite, il est souvent perçu comme une idéologie monstrueuse, qui annonce la confiscation par l’Etat, le totalitarisme, et enfin les goulags. A gauche, beaucoup de ceux qui s’en revendiquent se contentent du Manifeste du parti communiste (45 pages) et délaissent Le Capital (2200 pages), qui constitue néanmoins le cœur de l'œuvre de Marx. Pourtant, s’intéresser aux thèses économiques de Marx permet de montrer aux uns que son analyse est plus intéressante qu’il ne leur semble, et pas intrinsèquement liée au totalitarisme. Et elles montrent aux autres que l'égalitarisme abstrait, et la confiscation, ne sont pas les seules solutions aux problèmes soulevés par Marx.

Il faut d’abord distinguer deux aspects de la pensée de Marx. Premièrement, l’explication purement économique et mathématique du mode de production capitaliste, qui est on ne peut plus rationnelle, et difficilement critiquable du point de vue des valeurs. Et ensuite la solution proposée, le communisme, qui est évidemment plus critiquable du point de vue des valeurs et de son fonctionnement. Ici, c'est le premier aspect de la pensée marxiste qui nous intéresse, la critique logique du fonctionnement du capitalisme.

La première étape du raisonnement de Marx démontre que la force de travail est la seule marchandise productrice de valeur: l’échange d’autres marchandises ne fait que déplacer de la valeur (un principe de base de la comptabilité), et la spéculation permet un gain sur le prix, mais non sur la valeur qui reste inchangée. Le capitaliste achète la force de travail au prix que coûte sa reproduction: en d’autres mots il paie à l’ouvrier la nourriture et le logement nécessaires à régénérer son énergie.

Par son travail, l'ouvrier produit plus de valeur qu’il n’en faut pour reproduire sa force de travail: une partie des biens qu’il produit servent à payer son salaire, et le reste revient au capitaliste qui fournit les moyens de production utilisés par l’ouvrier. Cette différence entre la valeur produite par le travail et la valeur que coûte la force de travail constitue la plus-value que récupère le capitaliste.

Cette plus-value peut être augmentée de plusieurs façons. Mais comme vu plus haut, l’investissement matériel ne produisant pas de valeur, il ne fait que la déplacer. C’est donc l’investissement humain qui doit être rentabilisé. Le capitaliste commence alors par augmenter le temps et le rythme de travail, et réduire les salaires. Mais toutes ces solutions sont limitées, car il y a un rapport entre le salaire, le travail et le temps de repos qui devient incompressible. Pour la reproduction de sa force de travail, les capacités de l’ouvrier sont limitées: en dessous d’un seuil minimum de temps et de ressources, il ne peut plus la régénérer. La seule solution viable à long terme est alors d’augmenter l’efficacité du travailleur par la mécanisation et le progrès technique.

Les travailleurs étant les seuls producteurs de valeur, la valeur des machines et des matériaux de production ne va que se transmettre à la marchandise produite: une machine capable de produire dix marchandises avant d’être changée ne va que transmettre un dixième de sa valeur à chacune de ces marchandises. Mais la machine à l'avantage de permettre au travailleur d’augmenter son efficacité. Le capitaliste peut lui acheter sa force de travail au même prix, tout en augmentant la plus-value qu’il en retire. Le travailleur, au lieu de travailler une demi-journée pour son salaire et une demi- journée pour le capitaliste, travaille un quart de sa journée pour son salaire et trois quarts pour le capitaliste.

La plus-value augmente donc avec la mécanisation. Mais en parallèle, le rapport entre l’investissement matériel et l’investissement humain fait chuter le taux de profit, car la part humaine de l’investissement est la seule productrice de valeur. La capitaliste voit son profit augmenter, mais en même temps il doit investir beaucoup plus en machines pour obtenir ce résultat.

Pour survivre à la concurrence des autres entreprises, le capitaliste doit absolument faire grossir son profit, mais cela lui demande en même temps de faire baisser le taux de ce même profit. En effet, pour faire grossir la plus-value, il lui faut des investissements matériels de plus en plus élevés: le rapport entre l’investissement et le profit diminue donc au fur et à mesure que le profit augmente. Et finalement, à cause de taux de profit beaucoup trop bas, la crise devient inévitable. En effet un déséquilibre se creuse entre la production et la consommation: et c’est la crise qui vient rétablir l’équilibre avec violence. Les capitalistes les moins efficaces font alors faillite et sont éliminés par la concurrence. Jusque-là les libéraux peuvent défendre leur position en expliquant que la crise est un mal pour un bien, un retour à l'équilibre grâce aux lois naturelles du marché.

Mais les crises ne laissant en place que les capitalistes les plus efficaces, la baisse des taux de profit recommence plus rapidement, pour un nouveau cycle jusqu’à une nouvelle crise. Des crises de plus en plus violentes et de plus en plus fréquentes poussent le capitalisme à s’effondrer ou à être renversé par les mouvements ouvriers. C’est ce que prévoit Marx. Mais l’histoire démontre que plusieurs tendances viennent freiner cette baisse tendancielle du taux de profit. De plus, le capitalisme a de grandes ressources d’adaptation et il peut évoluer en différents stades qui repoussent son effondrement. Les héritiers de Marx vont prendre en compte ces évolutions et ces contre-tendances, mais d’autres courants de pensée vont aussi poser l’hypothèse que le capitalisme peut se maintenir à certaines conditions, ce qui présente un intérêt au vu des bienfaits qu’a aussi permis ce mode de production.

En effet le capitalisme a comme qualité d’être un formidable créateur de richesse, d'innovation et de progrès technique. Malgré ses contradictions et les problèmes sociaux dont il est la cause, ce système a remarquablement augmenté notre niveau de vie et il ne serait pas souhaitable de renoncer au progrès technique qu’il permet. Marx n’a malheureusement pas prévu qu’il pourrait aussi exister des versions régulées, non libérales, du capitalisme. C’est notamment le cas du capitalisme corporatiste ou du capitalisme keynésien, qui reconnaissent à la fois les avantages du capitalisme, mais aussi les risques d’une trop grande dérégulation. On répondra à l’un que la propriété privée n’est pas forcément un problème quand elle ne sert pas à asservir, et aux autres que la dérégulation ne crée pas naturellement de l’ordre, mais du chaos à répétition.

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